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[Recit] Mufinn Quardepoil

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[Recit] Mufinn Quardepoil Empty [Recit] Mufinn Quardepoil

Message par Invité Mer 24 Juin - 19:06

Mon nom est Mufinn, Mufinn Quardepoil… Certains d’entre vous me connaissent déjà, –parce que je suis serveur à l’enseigne du Murloc Assoiffé–, d’autres ne me connaissent pas encore. Mais ce récit va peut être lever un peu le voile sur ma vie de gnome. Pour autant, et même si je vous invite à nous rejoindre tous les mercredis dans notre taverne, je ne parlerais pas ici du Murloc Assoiffé, mais de la taverne de mon cœur, la taverne de mon enfance, la taverne de mon Grand-père…


À la mémoire de celui que l’on appelait Vieux Croûton, mon Grand père.


Mon grand père tenait la Confrérie du Houblon, une taverne étriquée dont les mauvaises chaises et les quelques tables de bois rongés composaient un décor un peu fade.

L’endroit formait une enclave oubliée dans les profondeurs de Forgefer, contre laquelle les rumeurs du monde, et ses agitations, paraissaient se rompre à la façon des hautes vagues sur l’étrave d’un navire. Tout y avait déjà la qualité de l’estompe, comme si le lieu s’apprêtait à se noyer dans un temps au fur et à mesure plus vorace, et qui ne tolérait ni la compassion pour les lieux inspirés, ni la noblesse des rares survivants qui ne cessaient de les hanter.

Aujourd’hui, son souvenir en moi se pare d’ailleurs d’un brouillard qui rend les traits confus. Je me souviens à vrai dire qu’incomplètement de la Confrérie du Houblon, ainsi que de mon grand-père : me reviennent pourtant avec la netteté franche que donnent aux émotions les amours électives, le dessin de ses mains rugueuses aux ongles souvent endeuillés de charbon, la masse écrasante de sa stature de chêne, et ses bons sourires, plissés du front au menton, accompagnant les mots qu’il me lançait après m’avoir grondé pour quelques bêtises : « Va donc petit, je te pardonne, mange la vie car c’est du sucre à ton âge ! »

Sa taverne était l’abreuvoir des anciens gardes de forgefer : ils y venaient tous, été comme hiver, malgré les brumes, les soleils aveuglants, les pluies glacées que rien ne semblait devoir arrêter et qui répandaient sur la grande cité souterraine de mon enfance une froideur aux parfums de terre humide.

Rien n’aurait dévié la route de ces nains mélancoliques, qui pour certains avaient passé les cinq siècles et plus. Ces vieux soldats égarés qui avaient de leur vie épuisés les surprises, se retrouvaient à la taverne et rompaient là l’éternité des jours moroses.

La Confrérie du Houblon était leur phare, ils y attendaient la mort sans vouloir la feinter. Du reste, le magasin du marbrier qui jouxtait la taverne rappelait aux buveurs la présence toute proche de la grande faucheuse. L’alignement des deux façades aurait d’ailleurs pu passer pour une belle métaphore de l’existence, cocasse peut-être, mais ni plus idiote, ni plus naïve que celles établies depuis des millénaires par des philosophes à deux sous.

Grand-père était pauvre de trop boire. Il aimait son métier qu’il pratiquait comme un art. Et comme pour tout art, même si l’artiste possède des dons insolents déposés au berceau par quelque mages prévoyants, il lui convient de les entretenir en se livrant à la plus austère des disciplines : Grand-père ne faillissait pas à cette règle et chaque jour faisait ses gammes dès le petit déjeuner. Assis en face de lui, mes jambes ne touchaient pas le sol en planches, et je le regardais tremper ses tartines dans un grand bol de pinot noir tandis que sur mes lèvres un café noir très fort dessinait les échancrures de petits nuages amers.

Ainsi Grand-père chaque jour, et du matin au soir, buvait-il sa fortune avec la plus lucide des félicités.

[...] A suivre

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[Recit] Mufinn Quardepoil Empty Re: [Recit] Mufinn Quardepoil

Message par Invité Mer 24 Juin - 21:19

[HRP]

C'est joliment bien écrit, bravo... la suite !

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[Recit] Mufinn Quardepoil Empty Re: [Recit] Mufinn Quardepoil

Message par Invité Jeu 25 Juin - 13:34

La Confrérie du Houblon n’avait pas d’âge. La taverne émergeait de la nuit des temps des buveurs à la façon de ces temples que l’on dirait édifiés pendant l’ère des Titans. Qui l’avait construite ? À quelle époque de dramatiques assassinats souterrains, de guerres sanguinaires, un esprit en proie au repli et flatté par la noirceur des pièces avait ébauché l’idée de cet antre étroit, manière de boyau tortueux où trois Humains de front tenaient à peine, et dans lequel le comptoir en fin de course, grâce à sa carapace en alliage compliqué, revêtait des allures de casque ?

Parfois, vers les soirs de tiédeur, Grand-père en verve, juché sur cet autel brandissait une bouteille, et lançait de mystérieux propos que je comprenais mal. Son cœur débordait de trop de poésie que les spiritueux rendaient bafouilleuse dans sa bouche. Il esquissait quelques mots, poussait une chansonnette à l’énigmatique refrain – Tabard blanc, écu mauve, donne ton sang et puis me sauve – et finissait par se taire, un peu surpris. Ses compagnons, passée une certaine heure bien indéfinissable, auraient pourtant pu sans mal pénétrer tous les oracles des pythies les plus hermétiques, mais Grand-père avait ses pudeurs et se retenait dans ses prophéties inspirées des alcools fruitiers ou bien encore des tonneaux de Tonnebière. Il fut donc un poète du silence et ce qu’il n’a jamais osé dire valait bien, j’en suis certain, un plein boisseau de lauriers tressés.

Souvent, dans ces moments-là, il commençait à lever son verre et ses lèvres s’ouvraient comme pour dévoiler le grand mystère des choses borgnes, mais les mots lui manquaient, son regard se perdait dans le rang des apéritifs exotiques, sur les plus hautes étagères, de ceux qui, en se précipitant dans le fond des verres, précipitent aussi les destins de ceux qui les consomment vers les démarches titubantes et les gueules de bois toutes naines.

Il finissait par hausser les épaules, puis baissait les bras et murmurait parfois à peine audible, le prénom de ma grand-mère, morte en couche à vingt-deux étés, après une agonie de trois jours dans un lit baigné de sang. Une larme de chagrin venait à ses yeux, à moins qu’elle ne dût sa naissance au picotement provoqué par tous les mauvais tabacs, à pipe et à rouler, qui se fumaient dans la taverne.

« Viens donc Vieux Croûton », disait au bout d’un moment un buveur raisonnable, « ne réveille pas les morts, ils ont bien trop de choses à faire, sers-nous donc une tournée… »

Et Grand-père quittait son piédestal, un peu tremblant, emporté sans doute par le souvenir de cette femme qu’il avait si peu connue, si peu étreinte. Il saisissait une bouteille, prenait son vieux torchon et, lent comme une peine jamais surmontée, allait remplir les verres des clients.

[...] A suivre

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