Commence l'Eveil.

par Invité Mar 11 Jan - 11:45

Le temps a suspendu son cours.

Voilà plus de quatre siècles que je rêve.

Durant six cent ans, le ventre de ma mère a été la prison de chair qui m'interdisait d'être une.
Dans sa folie, elle m'a offert ses yeux et ses souvenirs, mais pas la liberté. Alors j'ai décidé de ma venue au monde, contre son gré.
Aujourd'hui, parce que j'ai choisi de vivre, elle erre sans fin dans les méandres d'un plan en ruines, et moi, je porte autour du cou la graine du renouveau, cadeau des cieux, promesse d'un équilibre à reconstruire.

Le temps a suspendu son cours.

J'arpente une épaisseur verte aux contours immatériels, je parcours l'étendue du Rêve d'émeraude.
Il n'existe aucun mot, dans aucune des langues connues, pour décrire la beauté irréelle du domaine d'Ysera.

Allongée sur l'une des branches courbées d'un gigantesque saule, je contemple l'image tranquille de mon reflet dans l'eau claire d'un lac sauvage.
Quelques feuilles d'un vert argenté se détachent lentement du long rideau végétal qui m'entoure, et vont troubler la netteté de mon reflet, transformant cet immense miroir liquide en une concentration de cercles qui ondulent et se confondent.
D'un souffle, je brouille leur dessin pour leur imposer celui d'un croissant de lune.

Le temps n'a pas de prise ici.
Cet arbre que j'affectionne est le berceau de mes errances depuis que j'ai quitté les plaines de l'est nu pour rejoindre le couvert des grands arbres.

Je ne connais pas encore l'intégralité du Rêve.
Je sais seulement que les gardiens paisibles du Vol se sont établis dans les monts escarpés, au nord, en amont du plateau sur lequel les rares fils de Cénarius encore présents dans le Rêve érigent inlassablement des cercles de pierres, frontières éphémères d'un sanctuaire jamais achevé.

Je sais cela, non pas pour l'avoir vu de mes propres yeux, mais pour avoir partagé les visions des druides dont j'ai pu percevoir la présence, même lointaine, et parce que les arbres se sont passé le message.
Ils sont bavards.
Les mots qu'ils échangent s'étirent à l'infini tant il leur faut de temps pour les dire.
Ainsi, il y a toujours quelque chose à écouter.
Mais depuis quelques temps, la peur et la colère ont troublé la poésie de leurs murmures.

Les arbres grondent.

D'un bond, je rejoins la surface du lac. Mes pattes sont légères parce que je le veux, et je me sers de l'épaisseur de l'eau comme d'un appui pour rejoindre la berge.
J'écoute.
La rumeur d'une bataille ébranle le silence et guide mes pas vers l'ouest, couvrant bientôt tout autre perception, brouillant mes sens, évinçant ma sérénité.

Un sentiment d'urgence me serre la gorge et me brûle le coeur.

Plus vite.

Je file comme une flèche entre les arbres, bondissant de plusieurs mètres au-dessus de leurs racines, atteignant bientôt une telle vitesse que les contours du paysage disparaissent en un grossier aplat de couleurs.

J'accélère encore.

Je n'ai pas besoin de voir, je sais où je vais.

Je m'arrête brusquement et bondis sous le couvert d'un buisson.

A quelques mètres en face de moi, au coeur d'une clairière que je découvre pour la première fois, c'est le chaos.
Ysondre s'apprête à franchir les Grands Arbres pour passer en Azeroth, balayant à coups d'une magie ténébreuse représentants du Vol, créatures du Rêve et druides dévoués venus lui barrer la route.
Les arbres tombent, la terre se fissure, l'épais tapis d'herbes sauvages qui recouvre la clairière s'embrase : Ysondre invoque la foudre pour repousser ses assaillants.

Des larmes me viennent.
Un instant, je reste pétrifiée, saisie d'effroi et incrédule face à ce spectacle de cauchemar.

Un instant, seulement. Car la plainte des arbres couvre bientôt le désespoir qui envahit mon esprit.

Le Rêve appelle à l'aide.

Alors mon coeur se charge d'une force brutale, la peur s'efface, et, galvanisée par une ardeur animale, je bondis hors de l'ombre et donne la charge.

Suspendue dans les airs en un saut agile, j'ai le temps de voir Ysondre suivre de ses yeux de démente la trajectoire que dessine mon corps dans le vide avant d'aller planter mes griffes et mes crocs dans la carapace dure de ses écailles.
Je l'ai saisie à la gorge, et je ne la lâche plus, employant toute ma force à pénétrer ses chairs pour la faire plier.
Des éclats de voix enflent la rumeur de l'affrontement en contre-bas, le mot passe : "Cénarius ne viendra pas. Emeriss et Léthon ont forcé le portail sud, le Gardien du Bosquet les repousse."
Toujours fermement agrippée à la cuirasse d'Ysondre, j'évite de justesse une longue traînée d'un acide vert, répandue depuis le ciel : la progéniture d'Ysera déverse son poison sur la sentinelle de cauchemar, rendue folle par une puissance qui nous échappe.
Derrière moi, le petit groupe des druides a profité de cette diversion pour organiser son attaque, et bientôt, la combinaison de leurs incantations amorce la fermeture du portail.
Et puis soudain, tout est noir.

A peine ai-je eu le temps de sentir les puissantes griffes de la dragonne me projeter en arrière.

Le portail n'a pas pu être refermé.

Tandis que je m'éveille physiquement en Reflet-de-lune, des soigneurs s'activent, impuissants, autour des corps de plusieurs de mes pairs, morts dans la bataille, en pleine hibernation.

Je suis réveillée.

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