[Recit] Azshara

Il est écrit dans les chroniques d’autrefois que l’antique savoir ne mourra jamais. Beaucoup de sages partagent ce point de vue, et bien que le monde puisse en rire, parfois il s’en présente une preuve étrange et terrible, sous la forme d’un mystère qui ne pourrait s’expliquer autrement. Les anciennes légendes subsistent toujours, les pauvres et les humbles y croient encore... Et ils continueront à y croire, car il se présentera toujours des événements extraordinaires que les plus grands érudits ne pourront expliquer ou combattre d’une manière satisfaisante. Ainsi, certains pensent qu’Azshara – la sublime reine des elfes de la nuit – ne s’est pas noyée lors de la submersion du puit d’éternité, mais qu’elle s’est transformée en une créature aquatique hideuse qui, un jour, viendra récupérer ses terres. Je ne prétends pas prendre parti dans cette légende, je ne peux que raconter une histoire que j’ai entendue, il y a longtemps, dans un pays où les légendes noires règnent encore. Ce pays, cette région côtière de Kalimdor, faisait autrefois partie de Zin-Azshari – la capitale des elfes de la nuit – avant l’apocalypse et le Maelström. Les elfes de la nuit qui survécurent au désastre appelèrent Azshara – du nom de leur reine perdue – cette région submergée par les océans et couverte des ruines de la cité détruite.


Azshara s’était pomponnée avec le plus grand soin. Oh, ce n’était pas parce qu’elle n’était pas parfaite – elle-même se savait parfaite – mais parce que, pour une fois, la reine avait trouvé quelqu’un qui méritait ce genre d’effort
« Mon Seigneur Sargeras arrive ! Enfin, un être digne d’être appelé mon mari ! », pensait-elle. Pas un instant elle n’avait mis en doute le bien-fondé de ses convictions. Elle qui avait subjugué ses sujets était à son tour subjuguée par le maître de la Légion Ardente.
A cet instant précis, le palais trembla sur ses fondations. Ce n’était pas la première fois. S’arrachant au spectacle fascinant que lui renvoyait son miroir, elle fit volte-face
- « Vashj ! Vashj ! Qui est responsable de cette horrible agitation ? »
Sa première dame de compagnie arriva en hâte.
- « Une faible tentative pour entraver l’inévitable, selon les dires du capitaine Varo’Then, Ô Lumière des Lumières ! »
- « Et que fait ce cher capitaine pour arrêter cette insulte à mes oreilles ? »
- « Le Seigneur Mannoroth a donné à ses soldats et à lui des montures appropriées. Le capitaine est déjà en chemin pour châtier les scélérats »
- « Donc tout se déroule comme prévu ? L’arrivée de notre Seigneur ne subira nul retard ? »
Dame Vashj fit une gracieuse révérence.
- « Aucun retard n’est envisagé par le Seigneur Mannoroth. Ces gueux essaient sans succès de combattre le sortilège »
- « Splendide… » La reine Azshara se remit à admirer son reflet dans le miroir. Elle ne pouvait réellement rien faire pour rehausser encore sa beauté. La robe de soie traînait derrière elle sur le marbre du sol, et ses voiles arachnéens ne dissimulaient que très peu de son corps voluptueux. Sa magnifique chevelure était coiffée en savant chignon décoré de diamants aux endroits stratégiques.
Une autre secousse fit vibrer le palais, celle-ci plus proche que la précédente. Azshara perçut des cris provenant des quartiers de ses servantes et vit des craquements se propager dans le mur.
- « Vois s’il y a des blessées, Vashj », ordonna-t-elle et, alors que sa première dame de compagnie se hâtait d’obéir, elle ajouta :
- « Et s’il y a une blessée, relève-la de ses devoirs et renvoie-la dans sa famille. Je n’accepterai que la perfection chez celles qui m’entourent »
- « Oui, Lumière des Lumières »
Un visage mécontent accueillit Azshara quand elle regarda de nouveau son reflet dans le miroir en pied. Immédiatement elle s’imagina recevant son Seigneur Sargeras, et son sourire revint
- « Voilà… et maintenant, il nous suffit de patienter encore un peu… »
Elle continua de s’étudier, en rêvant au monde qu’elle et son bien-aimé bâtiraient. Un monde aussi parfait qu’elle... Un monde digne d’elle !


Le vacarme incessant à l’extérieur et même à l’intérieur allait crescendo. La reine Azshara n’en pouvait plus. Vêtue de ses plus beaux atours pour offrir au Grand Sargeras un spectacle inoubliable, la Lumière des Lumières sortit dans le couloir suivie de ses gardes démoniaques. Neuf sentinelles elfiques se mirent nerveusement au garde-à-vous quand elle passa devant elles.
- « Vashj ! Dame Vashj ! »
Sa première dame de compagnie arriva en courant de la direction opposée et effectua une révérence hâtive.
- « Oui, ma maîtresse ! Je suis ici pour vous obéir ! »
- « Tu es ici pour répondre à mes questions, Vashj ! On m’a affirmé que tout se déroulait au mieux, mais ce tintamarre est tel que le chaos semble avoir submergé le palais ! Mes sens en sont offensés ! »
- « Je veux qu’on restaure l’ordre, est-ce bien clair ? Qu’en pensera notre Seigneur Sargeras s’il est accueilli de la sorte ? »
Vashj gardait le visage baissé vers le sol en marbre dont chaque dalle était décorée du profil stylisé d’Azshara
- « Je ne suis que votre humble servante, Lumière des Lumières ! J’ai essayé de questionner le Seigneur Mannoroth sur ce qui se passe, mais il m’a chassé en me mençant de m’écorcher vive ! »
- « L’impertinent ! », siffla Azshara en regardant dans la direction menant à la tour où le Grand Conseil et les démons travaillaient toujours.
- « Nous allons bien voir ! Suis-moi ! »
Sa servante anxieuse sur les talons, la reine s’en fut. De sa part c’était signe de grande irritation qu’elle n’ait pas rassemblé ses autres servantes afin de constituer une suite digne de sa personne. Pour cette fois, Vashj et ses gardes du corps suffiraient. Devant la porte, deux Gardes de la Cruauté et une paire de molosses démoniaques firent mine de lui barrer le passage.
- « Ecartez-vous ! Je vous l’ordonne ! » Les molosses geignirent, visiblement désireux de complaire à la souveraine, mais les monstrueux guerriers secouèrent négativement la tête d’un air déterminé. Azshara se retourna vers le petit groupe derrière elle. Souriant aux démons qui l’avaient accompagnée, elle lâcha :
- « Veuillez ôter ces impudents de ma vue »
Ses gardes se jetèrent sans hésitation sur leurs congénères. Ils escortaient la reine depuis assez longtemps pour être tombés sous le joug de son charme. Les défenseurs de la porte étaient inférieurs en nombre, et ils succombèrent rapidement, non sans faire une victime dans le camp adverse. Mais qu’était un garde en comparaison des désirs d’Azshara ? Quand les cadavres eurent été écartés de son chemin, la reine avança. Vashj ouvrit la porte et suivit aussitôt la souveraine. La salle bourdonnait d’activité. Les sorciers émaciés et inondés de sueur travaillaient avec frénésie sous le regard méprisant de Mannoroth. Satyres, Eredars et Seigneurs de l’Epouvante manipulaient également des sortilèges complexes dont les résultats se produisaient visiblement à l’extérieur du palais. Peu impressionnée par ce qui était manifestement un effort collectif monumental, Azshara s’approcha du lieutenant de Sargeras. Lui-même ruisselant de sueur, Mannoroth ne remarqua pas tout de suite sa présence, et c’était là une offense que la reine ne pardonnait pas aisément.
- « Seigneur Mannoroth », déclara-t-elle d’un ton glacial, « je suis très déçue du manque d’ordre qui prévaut avant l’arrivée de Sargeras… »
Il fit volte-face vers elle, et son visage de crapaud hideux refléta l’étonnement qu’il éprouvait devant une telle audace.
- « Créature inférieure, tu serais bien avisée de quitter ces lieux sur-le-champ ! Ma patience a atteint ses limites ! Pour m’avoir interrompu en cet instant crucial, je devrais t’arracher la tête et m’abreuver de ton sang ! »
Azshara ne répondit rien, et se contenta de fixer sur le démon un regard impérieux. Avec un sifflement sourd, Mannoroth tendit une de ses énormes mains vers elle. Ses intentions étaient claires : il n’avait plus aucun usage de l’existence de cette elfe de la nuit. Mais s’il fut près de la toucher, il ne le fit pas. Ce ne fut pas à cause d’une soudaine prise de conscience que Sargeras pourrait toujours désirer épargner la créature aux cheveux argentés. Mannoroth découvrit que ce corps frêle recelait une force contre laquelle seuls son seigneur et Archimonde étaient supérieurs. Il lui aurait été plus facile de s’étrangler lui-même que la reine. Il finit par retirer sa main, partagé entre une soudaine impression de malaise facde à celle qu’il avait beaucoup trop sous-estimée et le danger présent que courait le portail.
- « Pour le bien de notre seigneur Sargeras », dit Azshara d’un ton plein de magnanimité hautaine, « je passerais sur cet écart… pour cette fois »
Dissimulant son inquiétude, Mannoroth se détourna prestement.
- « Je n’ai pas le temps ! Le portail doit être protégé ! »
Il ne vit pas l’étonnement arquer le sourcil d’Azshara.
- « Le portail est donc en danger ? Comment cela ? »
Serrant ses crocs jaunâtres, le démon grommela en réponse :
- « Les actes désespérés de quelques vermisseaux ! Tout se passera bien… mais seulement s’il n’y a plus d’interruption ! »
Azshara pinça les lèvres, mécontente du ton brusque qu’il avait employé, mais elle dut se rendre à l’évidence : il avait raison.
- « Fort bien, Seigneur Mannoroth ! Je vais donc me retirer dans mes appartements… mais j’entends que ces petits problèmes soient promptement réglés afin que Sargeras puisse enfin venir à moi. Nous en avons fini ici, Vashj »
La reine des elfes de la nuit quitta les lieux d’un pas très digne. Mannoroth jeta un regard par-dessus son épaule alors qu’elle disparaissait à sa vue. Le démon était encore incrédule. Puis il se reprit et se remit à l’œuvre. Ces rebelles seraient écrasés et le passage resterait ouvert pour le maître de la Légion. Déjà il sentait Sargeras s’approcher du portail, qui tenait toujours en dépit du vol du disque par le druide Malfurion et ses compagnons.
- « Bientôt… Très bientôt… »


Autour d'Azshara, ses servantes hurlaient. Vashj s'aggrippait à sa jambe. La reine brandit son gobelet vide, refusant de reconnaître ce qui arrivait à son palais. Elle était Azshara, Lumière des Lumières, chef suprême de son peuple ! Et elle n'avait pas autorisé cela ! Sargeras ne viendrait pas. A présent elle le comprenait, même si elle n'en avait rien dit à ses servantes. Il eût été inutile et improductif de leur laisser savoir qu'elle s'était fait des illusions. D'une façon ou d'autre, la vile populace l'avait empêché de venir sur Kalimdor... et à elle. Le grondement allait crescendo. Une obscurité que même les yeux des elfes de la nuit ne pouvaient percer enveloppa subitement le palais. La seule lumière provenait des forces indomptables du Puits. Les eaux noires commencèrent à se déverser dans le palais, emportant deux de ses servantes. Leurs cris furent très vite étouffés.
- « Je suis Azshara ! », s'entêta-t-elle silencieusement, en gardant un visage de marbre. Mais d'une simple pensée elle créa un bouclier qui les entoura, ses suivantes encore vivantes et elle.
- « Mes désirs ont force de loi ! »
Son pouvoir endiguait les eaux, mais la pression nécessaire pour maintenir le bouclier devint rapidement intolérable. Le joli front de la reine se plissa et, pour la première fois de son existence, des gouttes de sueur y perlèrent. Alors... des voix murmurèrent dans la pénombre, des voix qui l'appelaient, lui promettant de la sauver.
- « Il existe un moyen... Il existe un moyen... tu deviendras plus que ce que tu as jamais été... »
- « plus que tu as jamais été... nous pouvons t'aider... nous pouvons t'aider »
La reine était tout sauf sotte. Elle savait que son bouclier ne tiendrait plus très longtemps... Ensuite le Puits la réclamerait ainsi que ses servantes, et la gloire dans laquelle Azshara avait baigné serait perdue pour le monde entier. L'elfe de la nuit à la chevelure d'argent hocha la tête.
– « Ungh ! »
Le gobelet échappa à sa main. Son corps de rêve fut cassé en deux par un douleur fulgurante. Elle sentit ses membres se tordre d'impossible façon. Elle avait l'impression que sa colonne vertébrale était devenue fluide, comme si elle s'était instanément liquéfiée...
- « Tu seras plus que ce que tu as jamais été... » promirent les voix, les trois voix.
- « Et quand le temps sera venu, pour ce que nous t'accordons... tu nous serviras bien... »
Les derniers vestiges de sortilège bouclier volèrent en éclats. Azshara poussa un cri stident quand les eaux la submergèrent. Elle entendit vaguement d'autres cris... ses servantes, les gardes et les derniers sorciers du Grand Conseil qui lui étaient restés fidèles. Le Puits emplit ses poumons...
Mais elle ne se noya pas


Quelques elfes de la nuit suggèrent que tous les démons n’ont pas été bannis, se cachant désormais dans les eaux, attendant leur heure pour frapper à nouveau. D’autres propagent par rumeurs l’idée que des restes du Portail Sombre, la brèche ayant permis aux démons de la Légion ardente d’envahir Azeroth, reposent au fond des mers, prêts à être rouverts tôt ou tard. Enfin, certains croient comprendre que le peuple des nagas est né de la tragédie racontée ici...

Merci a toi

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